Sattarka la raison intuitive chez Abhinavagupta

                  Sattarka, la raison intuitive.

André Padoux et Lilian Silburn développent la pensée d'Abhinavagupta qui dans le 4ème chapitre de la Lumière sur les Tantra décrit la voie de l'énergie (Saktopaya) comme étant également celle de la connaissance ou gnose (Jnana).

"Le yogin qui s'y engage doit d'abord purifier ses vikalpa, sa pensée discursive, jusqu'à ce que, s'élevant à un plan de connaissance plus haute, celle-ci laisse place à la raison intuitive (Sattarka) qui dépasse le raisonnement ordinaire et débouche sur la vision de la réalité du monde" (Lilian Silburn André Padoux La Lumière sur les Tantras Tantrâloka d'Abhinavagupta Collège de France Diffusion de Bocard Paris ).

Les huit Anga du yoga classique de Patanjali ne paraissent pas essentiel à Abhinavagupta dans la voie où seule importe l'adhésion du coeur à la réalité. Dans ce contexte, si les huit membres du yoga de Patanjali ont une utilité, c'est pour obtenir un membre qui n'apparait pas dans ceux de Patanjali : Tarka, la raison. Abhinavagupta précise que dès qu'un vikalpa est purifié, il en engendre un autre semblable. Les vikalpa ainsi purifiés se succédent et deviennent de plus en plus purs. "De peu clairs, à clairs, ils s'éclairssissent encore pour devenir des plus clairs, avec des nuances intermédiaires pour aboutir à un vikalpa dès plus élevés et accéder à un état sans vikalpa et rejoindre l'essence immaculée".

Vikalpa est un terme sanskrit qui signifie la connaissance indirecte reposant sur les mots, la parole, la conceptualisation ou l'imagination et qui ne se base pas sur l'expérience ou l'expérimentation. Dans les Yoga Sutra de Patanjali, vikalpa est l'une des modifications du mental (Vrtti). En purifiant sa pensée dans la voie de l'énergie, dans la lignée du Shivaïsme du Cachemire d'Abhinavagupta, que le yogin accède a des vikalpa de plus en plus purs et débouche finalement à un état sans pensée.

La raison intuitive (Sattarka) liée à la connaissance (Jnana) bien au delà de la raison ordinaire est un état purifié et subtil du mental qui rapproche le yogin de l'état sans pensée, un état où seul "parle" le coeur spirituel, centre de toute  chose.

Tout les exercices du Natha-yoga, les pratiques de pranâyâmâ, de méditation, etc... nous renforcent pour nous préparer à expérimenter le point limite au delà duquel le mental cesse de fonctionner, s'évanoui. Ce point ultime est le dépassement du fonctionnement du mental humain. 

A un certain niveau de pratique, le travail réalisé sur le deuxième corps, pranâyâmâ kosha, le corps énergétique, permet d'enrayer le fonctionnement des processus mentaux. Cet état obtenu, nous faisons une incursion dans la voie de l'énergie. La félicité obtenu lorsque nous rejoignons cet état dans lequel le mental s'apaise, et se stabilise est notre état naturel retrouvé.

Prâna, l'énergie cosmique n'est pas concernée pas les processus mentaux qui divisent et créent la dualité.

Une phase ultime reste très délicate, celle de l'évanouissement complet du mental. C'est un basculement de la voie de l'énergie vers la voie de Shiva.